Manger dans le noir

Il y a quelques années, un ami à nous qui vit à Paris nous racontait son repas au restaurant dans le noir. Sur le coup, l'idée m'avait parue saugrenue.
Et puis, j'ai découvert l'épreuve de la boîte noire dans Top chef et les énormes erreurs que pouvaient commettre les candidats. Bien sûr, dans mon canapé, je me disais "Mais n'importe quoi! Comment on peut confondre du poulet et du porc? De la carotte et du concombre? Sont trop nuls !".

Alors quand j'ai découvert, il y a peu qu'un petit resto vers chez nous proposait l'aventure, j'ai voulu tenter l'expérience. Parce que moi je ne suis pas nulle, j'ai un très bon palais ! Enfin, c'est ce que je pensais...

Nous voilà donc un vendredi soir, avec mes parents - plus téméraires que Papa Coq qui préfère une soirée Gnocchis avec Poulet et Poussin.
On commence dans une première salle- éclairée - avec un petit apéritif.
Puis, le serveur nous invite à enfiler un petit bandeau sur les yeux - il parait que ça s'appelle un masque de sommeil -  et chaussé de ses lunettes de vision nocturne nous emmène chacun notre tour à notre table dans une autre salle que nous n'avons pas vue.
Une fois que tout le monde est installé, plus aucune lumière, nous pouvons enlever nos masques.

Je ne sais pas pour les autres mais ma première réaction a été de tâtonner sur la table pour essayer de me situer. Les couverts, mon verre, le broc, tient un stylo, tient l'entrée est déjà servie, tient il y a du guacamole...
Et puis, il y a eu cette sensation que la salle était toute petite et le plafond très bas. Elle s'est dissipée très lentement au fur et à mesure du repas.

Le serveur nous a alors expliqué le principe, l'entrée déjà servie, sa présence même si on ne le voit pas si on a besoin de quelque chose et le petit jeu. Sur la table, six salières avec des épices. Celui qui les trouve toutes a un menu offert.

Nous avons donc attaqué par ça avant de goûter l'entrée. Stratégiquement, ce n'était pas une bonne idée car notre palais n'était pas encore en mode "devinette" et je pense qu'on aurait été meilleurs plus tard dans le repas. Nous avons tout de même reconnu deux saveurs - la réglisse et le paprika. Nous nous sommes quand même trompé sur le fenouil - en même temps, ce n'est pas une épice - et sur la noix de muscade alors que Papa Coq adore ça et que j'en mets dans toutes les préparations à base d’œuf. Nous n'avons pas trouvé le cumin et le curry - confondu avec le colombo - non plus.

En entrée, c'était des tartines. Simples à manger, c'est parfait. J'ai mangé tout mon repas avec les doigts, pour gagner le sens du toucher et parce que c'était plus facile que d'utiliser les couverts.
Là encore, de grosses erreurs, notamment le gras de canard confondu avec du Poulet - quand on est née à Sarlat c'est impardonnable, le poivron confondu avec l'aubergine et de l’œuf mimosa écrasé confondu avec une sauce au yaourt. Et oui, quand même !
Finalement, pas si nuls les Top chef !

Pour le plat, on a été meilleurs. J'ai reconnu le porc à l'odeur - et le filet mignon à la consistance. Et aucun soucis sur le samoussa de bœuf à la coriandre, la sauce au miel et le rösti. Je n'ai par contre pas trouvé tous les ingrédients de la galette courgette, champignon, crème. Et encore moins le fenouil frit - très bon d'ailleurs.

Au dessert, une farandole de gâteaux et une glace au caramel. Là encore, c'était mieux même si je n'ai pas reconnu l'ananas ni la banane. J'ai reconnu la flognarde aux pommes et la glace tout de suite, de même que le fondant au chocolat.

Après le repas, le serveur amène des bougies pour nous réabituer à la lumière, puis allume des lampes, une par une.
Il nous amène ensuite une assiette de ce que nous avons mangé et nous explique son contenu.

Au delà de nos prouesses - et surtout de nos énormes erreurs - nous avons passé une excellente soirée. Je crois que je n'ai jamais mangé en faisant autant attention aux goûts et aux odeurs - aux textures aussi mais c'est normal parce que d'habitude j'utilise mes couverts. Pendant une heure et demi, je n'ai pensé qu'à mon repas et aux sensations.
Non, on a aussi parlé des supers pouvoirs qu'on aimerait avoir. Ma maman voudrait voir dans le noir, moi respirer sous l'eau et mon papa ne pas avoir besoin de dormir.
J'ai posé la question à Papa Coq en rentrant. Il m'a répondu qu'il en existait bien trop pour choisir. Si je trouve une lampe magique un jour, je ne l'appellerais pas pour qu'il m'aide à choisir mes trois vœux !

Une seule chose me chagrine, c'est d'imaginer ce que le serveur a pu voir avec ses lunettes. Perso,  j'ai mangé très très salement. J'ai même léché une des tartines pour deviner ce qui était dessus. Bref, la grande classe.

Si vous avez l'occasion de tenter cette expérience, allez-y. C'est à la fois déroutant - à cause de la perte des repères visuels - et très agréable parce que notre esprit se concentre sur le repas et qu'on partage un chouette moment avec les personnes de notre table.
Une chose est certaine, j'y retournerai ! Avec Papa Coq cette fois-ci !

J'ai conscience que pour les personnes qui mangent dans le noir au quotidien, et pas par choix, cet article peut être offensant. Ce n'est pas son but. Manger dans le noir nous a aussi permis de nous rendre compte de la difficulté à appréhender les choses sans la vue.

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